J’ai démarré le dessin à cause d’un tournant important dans ma vie : le vol de mon vélo. Mon vélo me servait à cette époque à sillonner les alentours de notre capitale régionale pour faire des panoramas photographiques de paysages ni beaux ni laids. Mais n’ayant jamais fait l’objet d’une carte postale. Les séries de photos ainsi obtenues étaient collées par la suite sur du carton avec une colle contact à l’acétone. Les grandes quantités de vapeur d’acétone que j’inhalais m’aidaient à mieux sillonner. Mais en même temps ce travail en plein air et les efforts sur mon vélo me désintoxiquaient. Un équilibre fragile mais suffisant était maintenant rompu.
Ayant compris que la bombe aérosol fixateur fusain était beaucoup moins nocive, je restais à la maison et me mis à dessiner. Les premiers dessins représentent encore les bords de mes panoramas photographiques, mais l’image (vélo volé) manque.
Pour aller plus loin ou mieux rester plus près, je dessinais le cadre imaginaire du dessin, scié à des endroits inattendus. Les morceaux remplissaient l’intérieur comme si le format avait implosé. La somme des débris devait coller parfaitement aux dimensions du cadre, mes idées esthétiques étant confrontées à la règle graduée. Le faire et le résultat (même chose) ne me satisfaisant pas, c’était comme jouer aux échecs avec soi-même, on gagne et on perd en même temps, ce qui n’est pas une mince affaire; et je me remettais à faire des sculptures en ciment avec leur coffrage éclaté.
Les proportions de certaines pièces me posaient tellement de problèmes que je les expérimentais sur du papier. Ainsi, il m’est arrivé de travailler pendant un mois sur la même feuille, en ajoutant et en effaçant comme sur un tableau noir. Ce n’est pas le résultat graphique qui est important mais les distances trouvées pour aller plus loin. Dans un cas, le projet une fois exécuté a été montré à Sommières, Montpellier, Paris et se repose dans le musée de Toulon. Quel itinéraire pour une angoisse d’un millimètre.
T. Alkema, dimanche 12 décembre 1982