ENTRETIEN AVEC DR. GEORG FIEDLER (DBB)

Février 1975, à l’occasion d’une exposition au « 29 rue de l’Aiguillerie », galerie de ABC productions, Montpellier

Parlez-moi de votre travail antérieur à ce qui est visible dans cette exposition ?

J’ai fait de la sculpture sur pierre et la seule chose que j’en retiens est qu’une lois la sculpture terminée, elle est encore difficilement transportable et que tous les éclats de pierre étaient jetés à la poubelle.

Cette notion, en effet, me paraît tout à fait importante. Au fond comment est vue ordinairement la sculpture ?

C’est vu comme résultat, ce n’est pas vu comme un travail, c’est la tentative d’améliorer un bloc de pierre par exemple. En ce qui me concerne c’est la question du travail qui m’intéresse, le travail comme action. Alors il me semble aussi intéressant de montrer les éclats, les déchets de toutes sortes avec le résultat compact. La sculpture c’est le rapport entre cette forme ici et les déchets là. Ce travail a été merveilleusement fait par l’érosion, la corrosion depuis très longtemps et je n’ai rien à rajouter. De toute façon une pierre est très lourde à déplacer et l’on se demande si tout le problème de la taille n’est pas de l’alléger progressivement afin de la rendre transportable.

Vous parlez souvent de transport, ceci semble vous poser problème.

C’est très important, est-ce que vous savez par exemple que de faire une caisse d’emballage pour une toile demande autant d’efforts, tant sur le plan de la conception que sur celui de l’exécution, que peindre la toile même ? Est-ce que vous avez remarqué que vous n’avez jamais remarqué les caisses d’emballage dans le musée ? Personnellement pour résoudre ce problème j’ai fait des sculptures qui avaient le même gabarit que la camionnette qui les transportait. Ce n’était pas une sculpture emballée mais l’emballage comme sculpture.

Il me semble qu’alors ce n’était plus à percevoir comme emballage, le contenu devenait contenant. L’on comprend facilement le glissement que vous avez opéré de la sculpture sur pierre aux pièces montées en matériaux légers des années 67 à 70. Ce qui caractérisait ce travail, c’était l’emploi de matériaux préfabriqués et assemblés par des montages simples. Pouvez-vous parler de ces pièces ?

La sculpture sur pierre ne peut que chercher son inspiration dans l’histoire de la statuaire, j’allais chercher la mienne dans les magasins de bricolage. C’était des objets usuels et préfabriqués que l’on pouvait toujours reconnaître. Je détournais leurs fonctions en les plaçant à des endroits où ils ne devaient pas logiquement se trouver. J’ai photographié ces ensembles dans des endroits différents afin de rendre signifiant ce déplacement. Le déplacement n’était plus seulement du magasin de bricolage à un autre endroit, mais de cet endroit à une multitude d’autres. Les pièces étaient quand même trop lourdes et encombrantes. J’ai eu l’idée d’exécuter des sculptures portables comme un sac à dos et j’enregistrai photographiquement les étapes du voyage que je faisais avec.

Ce qui va alors compter, ce que seul moi spectateur je vais voir, n’est plus la pièce mais seulement les photographies de cette pièce dans différents endroits…

Ce n’est pas faux. L’appareil photo devient la vraie sculpture. Ce n’est pas la pièce qui modifie l’espace mais l’appareil comme moyen d’enregistrer cette modification. Abandonnant la photo de la pièce dans des espaces différents, je prenais des photos n’importe où, au hasard de la promenade, donc de mon propre déplacement. Ce que je voulais montrer n’était pas le paysage mais, par rapport à ce paysage, l’endroit où l’appareil photo l’enregistrait.

L’on en est maintenant aux séries que vous montrez ici et que vous avez exécutées en 73, dans lesquelles vous enregistrez d’une manière logique par rapport à un parcours imposé soit par votre décision (1 photo prise dans la même direction tous les pas) soit par rapport aux contraintes topographiques (1 photo à chaque changement de direction, Ire rue à gauche et ceci pendant 1000 pas). Est-ce que vous ne tentiez pas de formaliser et de visualiser grâce à un schéma lisible préétabli ce déplacement et les modifications qu’il entraîne ?

Au fond je voulais mesurer l’espace et le temps. L’on ne sait pas ce qu’est la distance ni ce qu’est le temps, nous savons seulement comment les mesurer.

Une pièce de 73 projetée ici me paraît tout à fait significative. C’est un montage de diapositives jouant sur le mot « ici » : pouvez-vous m’en donner le sens ?

Votre question revient à en poser une autre : « qu’est-ce que le sens ? » et nous ne sommes pas prêts à nous en sortir. Demandons-nous ce qu’est l’explication, car quelle qu’elle soit, cette explication sera le sens. Pour parler du sens de cette pièce, je ne peux que vous la décrire. J’ai planté dans le sol, à différents endroits, un panneau sur lequel était marqué le mot ici et je l’ai photographié à chacun de ces endroits selon différents cadrages. Le tout projeté sur un écran sur lequel est collé le panneau qui a servi à cet enregistrement photographique.

Tout joue alors sur l’ambiguïté entre « ici » qui marque l’écran et cet « ici », le même mais pourtant toujours ailleurs, que signale la photographie. C’est là posé le problème de l’ambiguïté de la photographie par la confrontation du réel visible et de ce même réel enregistré : ici n’est jamais vraiment ici.

Ce n’est pas faux.

Une grande partie de votre travail est cinématographique. Vous montrez une série de films en projection continue sur un programme d’une heure. Que rendent visible ces films ?

Ce sont les films eux-mêmes et l’endroit où cela a été pris. Mais c’est le déplacement de la caméra qui enregistre cet endroit et la façon dont elle l’enregistre devient plus importante, plus visible que l’endroit lui-même. Peu importe l’endroit c’est le travail de prise de vue qui est visible.

Ce qui compte alors est plus la mise en évidence des moyens d’enregistrement que ce qu’ils décrivent. Vous ne répondez pas à la question : où c’est ? Mais vous servant de cette question vous en posez une autre : comment cela est fait ? Et ceci nous entraîne à votre travail actuel que nous pouvons voir ici ?

Mais une autre question vient avant : QU’EST-CE QUE C’EST ? C’est-à-dire : QU’EST-CE QUI EST ICI PRESENT ET VISIBLE. Tout mon travail actuel des « panoramas » est une tentative de répondre à cette question.

Pour terminer une petite remarque : vos photos sont généralement mal collées.

Oui, mais elles tiennent suffisamment à l’endroit où je veux qu’elles soient.

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Dr George Fiedler était un ingénieur dans le déplacement du chemin de fer allemand (Deutsch Bundesbahn. DB (c’est juste)  (DBB c’était le Deutsch Bundesbank, la banque allemande, c’était une erreur.) Alain Clément était Dr Fiedler.