Paru dans L’Oeil, sept. 1990
Puisque la langue officielle nous y autorise, nous pouvons dire de Tjeerd Alkema qu’il est un artiste anamorphoseur. On comprendra tout de suite qu’il produit des anamorphoses, c’est-à-dire des phénomènes optiques qui jouent de la forme apparente d’une image. Il ne s’agit pas pour lui de leurrer le spectateur sur sa première perception, mais de l’entraîner au-delà à la surprise de son propre regard. On pourrait même aller jusqu’à dire que toute l’oeuvre d’Alkema, parce qu’elle se propose comme un exercice du corps se situer par rapport un objet plastique pour le restituer l’intelligence d’un ordre, procède en fait d’une sorte de pédagogie du bon sens. Tjeerd Alkema n’est pas un redresseur de torts mais rien ne l’intéresse moins que ce qui se livre clé en main, dans l’immédiateté d’une première saisie, sans mystère en quelque sorte. Le recours au mode de l’anamorphose lui permet d’induire au contraire une attitude active qui l’assure que le regardeur sera obligé à une pleine expérience de l’oeuvre, dans la réalité de sa physique et la virtualité de son image. C’est donc une connaissance augmentée qu’elle débouche et, de ce fait, à une extension de ses propres limites. Les monuments apparemment désarticulés qu’il établit ne délivrent le secret de leur structure qu’au terme d’un réel apprentissage qui réclame tout autant ne culture de l’objet aperçu qu’une culture du lieu où il est placé. L’importance qu’occupe ici conceptuellement l’idée de déambulation, de point de repère et d’angle de vue dit assez clairement quel enseignement : à quel usage de l’espace les sculptures de Tjeerd Alkema font appel. Compte tenu de ce qu’elles n’imposent aucun mode d’approche particulière mais qu’elles laissent le spectateur rechercher sa propre solution, il apparaît qu’Alkema ait trouvé là une formulation sensible, voire émotive, du monde de la géométrie. Ce qui n’est pas rien, convenons-en.